“Yunan” d’Ameer Fakher Eldin : Quand le cinéma devient une quête existentielle ouverte



Le cinéaste syrien Ameer Fakher Eldin trace avec assurance sa voie dans le paysage cinématographique international, affirmant sa place comme l’une des voix les plus singulières du cinéma arabe contemporain. Après Le Étranger (Al Gharib), lancé à la Mostra de Venise, il revient avec son second long-métrage “Yunan”, une œuvre qui s’inscrit dans la continuité de son univers artistique, tout en approfondissant une vision cinématographique audacieuse et profondément personnelle.


“Yunan” ne raconte pas une histoire au sens traditionnel du terme, mais propose une expérience visuelle et sensorielle, où le spectateur est invité à ressentir, à contempler et à interpréter librement. Le récit se détache de toute linéarité : le film circule entre le passé et le présent sans transition claire, comme si le temps lui-même avait perdu sa cohérence. Le personnage principal, Mounir, évolue sur une terre instable, mouvante, qui évoque des sables glissants — un territoire en voie de disparition.


Mounir ne fuit pas : il affronte. Son voyage n’est pas une évasion, mais une confrontation directe avec lui-même, avec les questions qu’il a longtemps éludées, avec les blessures de l’identité, de la mémoire, et du sens. Il se retrouve suspendu entre être et disparaître, entre désir de comprendre et peur de découvrir.


Comme dans Le Étranger, Ameer Fakher Eldin poursuit son exploration du concept de frontière : non seulement les frontières géographiques et politiques, mais aussi ces lignes invisibles qui séparent l’homme de son environnement, et de lui-même. Le film dessine un espace flottant, indéfini, où le sentiment d’appartenance devient conditionné par une quête perpétuelle de sens.


“Yunan” parle peu, mais dit beaucoup. Le silence, la lumière, les cadres, les rythmes lents et les vides deviennent les véritables porteurs de sens. La caméra ne regarde pas simplement : elle ressent, elle s’égare, elle cherche avec le personnage. Chaque élément – image, son, temporalité, vide – participe à la construction d’un langage cinématographique hors norme, presque méditatif.


Le film devient alors une poésie visuelle sur l’exil, la solitude et la recherche d’identité. Une œuvre qui évite les conventions narratives pour proposer une expérience sensible et intellectuelle rare. “Yunan” ne donne pas de réponses ; il ouvre des chemins, des doutes, des interprétations possibles.


Avec ce film, Ameer Fakher Eldin prouve qu’il ne réalise pas seulement des films : il construit un monde, une cathédrale de sens, où le cinéma devient un art de la contemplation, un territoire de réflexion sur la vie, le moi, et ce qui nous relie — ou nous sépare.